Mise en garde : Le contenu de cet article ne représente en aucun cas des conseils financiers et ne doit pas être interprété de la sorte. Les idées véhiculées dans cet article pourraient être erronées ou ne pas être adéquates à votre situation financière personnelle. Veuillez consulter un professionnel accrédité avant de prendre quelconques décisions financières.
Alors que l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) demeure à des niveaux vertigineux, plusieurs têtes parlantes prédisent une hausse soutenue des taux d’intérêt à venir. De quoi nous rappeler les souvenirs douloureux des années 70-80. Est-ce que les banques centrales tentent d’influencer le sentiment sur les marchés avec ces discours incarnant Paul Volcker ou sont-elles sincères dans leurs intentions de tuer l’inflation à coup de hausses de taux?
Sans entrer dans la mécanique du fonctionnement des taux, tout le monde est conscient que le fardeau d’une dette devient plus élevé lorsque le coût d’emprunt augmente par rapport aux revenus disponibles. Au niveau de la dette gouvernementale, son poids s’exprime avec le ratio dette/PIB. Le PIB étant l’expression de l’activité économique d’un pays, soit la somme des dépenses totales et des revenus totaux de tous ses agents économiques. Dit autrement, un PIB élevé sera générateur de revenus importants pour le gouvernement. Le ratio dette/PIB exprime donc le fardeau que représente une dette en relation avec la vigueur de son activité économique. D’autre part, on dira qu’une dette est soutenable lorsque le taux d’intérêt sur celle-ci est inférieur au taux de croissance du PIB.
Assez pour les définitions! Maintenant, où s’en vont les taux?
Le graphique suivant illustre la corrélation étroite entre l’évolution de l’IPC (ligne bleue) et les taux d’intérêt négociés sur le marché obligataire pour la dette gouvernementale (ligne rouge). C’est ce qui doit normalement être observée, telle que nous l’avons vécue durant les années 70-80.
Pourtant, au moment d’écrire ces lignes, l’inflation mesurée par l’IPC est de 8.5% aux États-Unis alors que les taux obligataires sur l’ensemble de la dette gouvernementale se situent entre 2.5% et 2.9%? Il s’agit d’un écart significatif de plus de 5%, loin de la corrélation observée sur l’image précédente. Pourquoi cette rupture?
Pour y répondre, voici le même graphique, mais cette fois de la période des années 40. On voit clairement qu’à cette époque, les taux obligataires étaient restés pratiquement inertes malgré de l’inflation périodique prononcée.
Qu’est-ce que les années 40 avaient en commun avec la présente période et en quoi est-ce différent des années 70?
Le prochain graphique illustrant le ratio dette/PIB répond à la question :
L’image parle d’elle-même… Au contraire des années 70 où le poids de la dette était réduit grâce à une croissance importante du PIB, il est de nos jours beaucoup plus difficile d’augmenter les taux autrement que de façon symbolique. En effet, chaque hausse de taux ajoute une charge supplémentaire à la dette publique, ainsi qu’aux entreprises et ménages surendettés. De plus, les hausses de taux font fondre les prix des actifs financiers comme neige au soleil, ce qui amplifie les pertes fiscales pour le gouvernement.
Pris en otage par la dette.
C’est pour les raisons énumérées précédemment que l’État est devenu dépendant des taux réels négatifs. C’est-à-dire que les taux d’intérêt officiels doivent demeurer inférieurs au taux d’inflation. Effectivement, au contraire des hausses de taux, l’inflation réduit le poids de la dette publique grâce au gonflement des taxes sur les produits subissant une croissance de prix, en plus des revenus fiscaux supplémentaires sur l’inflation des salaires. Finalement, tel que détaillé dans l’article « Le fisc profite de l’inflation », les paliers d’imposition ne suivent pas le rythme de l’inflation.
« Inflation is taxation without legislation »
-Milton Friedman-
Voilà qui me ramène à ma question initiale : Les banques centrales sont-elles sincères dans leurs intentions de tuer l’inflation à coup de hausses de taux soutenues? Nous n’en avons simplement pas la marge de manœuvre. Du coup, sans ces taux réels négatifs, l’État se retrouverait ultimement insolvable. C’est pourquoi la Fed, tout comme la banque du Canada, tentent d’influencer les marchés avec un outil trop peu connu : la gestion du sentiment, également nommé forward guidance. À l’aide de discours savamment préparés, ces influenceurs économiques tentent de laisser croire aux acteurs du marché que d’agressives hausses de taux se profilent à l’horizon. Ainsi, le marché réagit comme si elles s’étaient déjà matérialisées : diminution de l’investissement, réduction des dépenses de consommation par les ménages, etc. Si suffisamment de gens modifient leur comportement, ces hausses n’ont pas, ou peu besoin de se concrétiser.
Voici ce qui pousse les banques centrales vers une décision inévitable : Relâcher la pédale de frein et peut-être même rebrousser chemin. C’est une très mauvaise nouvelle si l’inflation demeure soutenue. En effet, dans la mesure où elles sont efficaces, les politiques monétaires influencent sur la demande de biens et services, mais elles sont dépourvues d’effet sur l’offre. D’ici cet éventuel revirement, si la diminution de la demande est insuffisante ou que les composantes de l’offre demeurent favorables à la croissance des prix, il faudra s’attendre à un environnement de stagflation (croissance faible ou nulle et inflation). Cette situation se traduit par le prix des commodités plus élevés et des prix plus élevés sur les obligations face à un éventuel revirement des taux.
Jean-François
Source :
St-Louis Fed, CPI for all urban consumers – 3 month treasury bill secondary market rate, extrait le 12 août 2022 de https://fred.stlouisfed.org/series/CPIAUCNS