AVERTISSEMENT: Dans ce texte je vais parler, à titre d’exemple, de la banque JP Morgan. Je ne fais aucune recommandation quant à l’achat ou la vente de ce titre. S’éduquer pour Investir ne fait aucune recommandation financière. Ce texte est écrit à des fins informatives et éducatives seulement.
Cet article se veut être la suite annoncée dans l’article LA FACE CACHÉE DE L’OR NOIR, je vous invite à le lire en cliquant sur le lien si ce n’est pas déjà fait.
Depuis le début de la crise sanitaire, les médias ont martelé à répétition que les banques étaient plus solides que jamais et qu’elles étaient bien suffisamment capitalisées pour faire face à la vague de défauts de paiement qui s’en vient. Pourtant, elles sont grandement exposées à l’effet de levier alors, qu’en est-il vraiment? Ce texte a comme objectif d’illustrer le portrait du système bancaire en plongeant dans le bilan de la plus grande banque d’Amérique par son volume d’actifs; la JP Morgan Chase.
À ce stade, il n’y a pas une journée qui passe, ou presque, sans que je n’entende l’annonce d’une nouvelle entreprise qui se met sous la protection de ses créanciers. Grands centres commerciaux, restaurants, magasins à grande surface, boutiques, sociétés immobilières, sociétés d’exploration pétrolière et ça continue encore et encore… Tel que j’explique plus en détail dans LE CHOC DÉFLATIONNISTE, les faillites et les restructurations de dettes sont très dommageables pour le bilan des banques. Leurs débiteurs qui ont reçu un prêt en échange d’une promesse de paiement se voient dans l’incapacité de respecter leur engagement. C’est ainsi que les actifs d’une banque s’évaporent à la vitesse grand V.
Les réserves fractionnées.
Bien entendu, chaque institution est unique et comporte une exposition différente aux prêts à risque ainsi qu’aux dérivés. Cependant, toutes sans exception requièrent des réserves de capital très faibles par rapport au volume de ses prêts. C’est la base du fonctionnement du système des réserves fractionnées.
Ce système permet aux banques de créer de l’argent lorsqu’elles émettent des prêts. En effet, lorsque le crédit est octroyé, la banque fait apparaître l’argent de toute pièce tout en maintenant un ratio de réserve très faible. Voici un exemple simplifié pour illustrer selon un ratio de réserve de 10.5%.
Imaginons que Richard effectue un dépôt de 100 000$ chez la banque A. La banque A devra en conserver 10,5%, elle peut donc émettre un prêt de 89 500$ à Maxime qui veut s’offrir la voiture de ses rêves.
Maxime achète donc la voiture de Daniel en échange de ses 89 500$ récemment emprunté. Ce dernier ira déposer l’argent issu de la vente de sa voiture auprès de la banque B. La banque B pourra à son tour prêter 80 102$ à Stéphanie, qui fera une transaction avec Sarah.
Sarah déposera ses 80 102$ à la banque C. La banque C prêtera alors 71 691$ et le cycle continuera encore et encore.
C’est ainsi qu’avec un simple dépôt de 10 000$, les banques peuvent créer près de 100 000$ une fois le cycle répété plus de 60 fois.
J’utilise ici une banque différente pour chaque client, mais l’effet serait le même s’ils effectuaient tous leurs dépôts auprès de la même institution.
Comme on constate dans cet exemple, la dette d’une personne devient l’argent d’une autre, l’emprunt de Maxime est devenu l’argent de Daniel et ainsi de suite. C’est principalement de cette façon que l’argent est créé. Sans crédit, l’argent n’existe pas. Si ce phénomène demeure nébuleux pour vous, référez-vous au CHOC DÉFLATIONNISTE pour une explication plus détaillée.
La contrepartie à votre épargne.
Tout cet argent créé par le biais du crédit, finit par aboutir dans des comptes auprès de différentes institutions financières. Du coup, l’argent que la plupart des gens croient être leur actif, est concrètement un passif bancaire, c’est à dire, une dette que l’institution a à votre égard. Voici une illustration simplifiée du bilan financier d’une banque en lien avec le scénario décrit précédemment (les chiffres de 1 à 11 illustrent l’ordre chronologique)
Par ce système, les banques font le pari que les gens ne viendront pas retirer leur argent tous en même temps. C’est pourquoi elles conservent qu’une infime partie de leurs passifs en réserve. Lorsque tout va bien, il n’y a aucun problème. Cependant, tout ce système repose sur une chose: LA CONFIANCE. La confiance envers la devise, c’est-à-dire que cette dernière joue bien son rôle de réserve de valeur et de moyen d’échange, en plus de la confiance envers les banques. Autrement dit, qu’on peut se fier sur le fait que votre argent est bien là et disponible.
« Et alors? »
Ça signifie que l’existence de votre précieuse épargne dépend de la solvabilité de votre institution et de sa capacité à honorer ses passifs. Bien que vous puissiez voir vos liquidités sur votre relevé bancaire en ligne, cela ne demeure qu’un chiffre qui apparait sur un écran. En effet, celui-ci comporte une contrepartie, donc, son existence réelle ne dépend pas uniquement de vous.
« Il est évident que le peuple de la nation ne comprend pas le système bancaire et monétaire. Si c’était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin. »
- Henry Ford -
Dans le contexte actuel, certains individus et entreprises dans la colonne de gauche (actifs) du tableau ci-dessus font défaut sur leurs dettes. Lorsqu’ils sont dans l’incapacité d’honorer leur promesse de paiement, les actifs des institutions financières en sont rapidement détériorés. C’est ainsi qu’une banque peut se retrouver en difficulté financière.
Le problème prend davantage d’ampleur si les déposants commencent à se douter que leur institution est en eau trouble. La plupart se rueraient pour retirer leurs liquidités et il pourrait même y avoir un effet de contagion:
« Si leur banque est en difficulté, peut-être la mienne aussi? »
C’est ce que l’on nomme un « run on the bank » tel qu’il est survenu dans les années 1930 et que nous avons bien failli connaitre de nouveau en 2008. Ceci est exactement le scénario dans lequel nous serions aujourd’hui si aucun support des banques centrales n’était fourni. Évidemment, les gens apprendraient à leur dépens que leur épargne n’existe pas réellement, que les réserves bancaires sont insuffisantes pour assurer les dépôts. UN SYSTÈME ENTIER QUI REPOSE SUR LA CONFIANCE.
LA JP MORGAN CHASE & CO.
Pour mettre tout ça en perspective, regardons les données financières du premier trimestre 2020 de la banque JP Morgan. Voici le lien pour vous référer directement au Bilan du premier trimestre 2020.
Tout d’abord, la JP Morgan Chase doit maintenir un ratio de réserve minimum (Common Equity Tier 1) de 10,5% en incluant le tampon de réserve requis. C’est exactement comme l’exemple cité d’entrée de jeu. Au 31 mars dernier, le ratio de la banque était de 11,5%, en déclin de .9% depuis le 31 décembre 2019.
Son capital:
En date du 31 mars 2020 le capital de la banque s’élève à près de 185 milliards (page 9 du rapport).
Les actifs:
Ses actifs sont composés essentiellement de prêts aux consommateurs, aux banques ainsi qu’aux entreprises en plus d’actifs d’échanges (trading assets) tels que de la dette et des dérivés. Ceux-ci s’élèvent à 3 139 milliards de dollars. (page 5)
Une portion de ses actifs est composée de prêts totalisant 2 211 milliards (page 24). De ce montant, 1 172 milliards représentent des prêts aux consommateurs et 1 039 milliards de prêts aux banques et entreprises (Wholesale). Voici le relevé détaillé de leur exposition aux prêts.
Selon ces chiffres, il suffirait que seulement 10% du total de ses prêts soit en défaut et non recouvrable pour effacer complètement ses 185 milliards en capital de réserve et placer la JP Morgan en faillite.
10% de 2 211 Mld = 221 Mld
Du côté des prêts institutionnels et corporatifs, on peut voir en détail les secteurs concernés par ces prêts dans le RAPPORT ANNUEL 2019 (page 179). En voici l’extrait (en millions de dollars) :
Parmi ces secteurs, deux retiennent davantage mon attention:
Le secteur immobilier (Real Estate)
Le 16 juin, CNBC rapportait que 30% des ménages Américains n’ont pas effectué leur paiement hypothécaire du mois de juin, consécutivement à 31% au mois de mai et 24% en avril. Un ratio déjà astronomique, qui pourrait augmenter si de l’aide supplémentaire n’est pas fournie. En effet, à compter du 31 juillet, les 30 millions d’Américains actuellement sans emploi cesseront de recevoir le bonus hebdomadaire de 600$ fourni dans le « Cares Act ». Les 149 milliards en prêts immobiliers figurant sur le tableau ci-dessus en seront affectés.
Le secteur pétrolier et l’exploration (oil & gaz)
Le prix du pétrole a remonté la pente mais il demeure malgré tout très faible. De nombreux producteurs et explorateurs pétroliers sont déjà en faillite et la liste continue de s’allonger. Ses 41 milliards de prêts risquent fortement d’en être affectés.
Bien d’autres pertes seront subies dans le secteur industriel, bancaire et l’automobile pour ne nommer qu’eux.
Le Canada est en situation précaire à ce niveau avec ses coûts de production pétrolière élevés. Tel que le rapporte Bloomberg, les six plus gros prêteurs Canadiens ont augmenté considérablement leur exposition au secteur pétrolier au cours des 5 dernières années. Les six banques composées de la RBC, TD, Scotia, BMO, CIBC et la Banque Nationale ont augmenté de 59% leurs prêts alloués au secteur de l’énergie, conduisant le montant total à 58,8 milliards à la fin 2019. Une situation qui n’est guère plus reluisante que nos voisins du sud. (Référez-vous à l’article LA FACE CACHÉE DE L’OR NOIR pour voir le portrait global)
TROP PEU, TROP TARD…
Bien sûr, la majorité des institutions font des acrobaties pour cumuler des fonds supplémentaires dans le but d’absorber les pertes qu’elles subiront sur leurs prêts non performants. JP Morgan pour sa part, a cumulé un montant de 25 milliards dédié aux pertes liées au crédit (allowance for credit losses), en hausse significative depuis le 31 décembre 2019 (page 26 du bilan trimestriel) Voir tableau ci-dessous.
La banque a donc cumulé un coussin de 25 milliards en date du 31 mars. Ce dernier sert de tampon avant que son capital de réserve commence à s’effriter. C’est un montant qui semble important mais qui représente peu comparé à l’échelle de ses prêts et de ses possibles pertes. En ajoutant ses 25 milliards aux 185 milliards de capital que la JP Morgan possède, il suffirait à nouveau que seulement 10% du total de ses prêts (2 211 milliards) se retrouve en défaut et non recouvrable pour absorber tout son capital.
(2 211 x 10%) - (25 + 185) = 11 milliards manquants
Fait notable:
Au cours des 3 dernières années, JP Morgan déclare avoir racheté pour 59,5 milliards de ses propres actions (page 91 du rapport annuel 2019). Ce sont 59,5 milliards qu’elle aurait aujourd’hui entre les mains si elle ne l’avait pas gaspillé pour créer une croissance artificielle du prix de l’action.
Le meilleur des pires scénarios.
Bien que leurs manœuvres soient impopulaires auprès de plusieurs personnes, l’aide fournie par les banques centrales est essentielle pour limiter les pertes et éviter le pire. La Réserve Fédérale (FED) tout comme la Banque du Canada (BDC) injectent des quantités massives de liquidité dans les marchés financiers. Elles maintiennent les taux d’intérêt artificiellement bas en achetant massivement de la dette d’État et ainsi, favorisent l’emprunt. De plus, ces dernières achètent directement de la dette corporative d’entreprises ayant une note de crédit plus faible. C’est-à-dire qu’elles agissent en tant que prêteur auprès des sociétés moins solvables.
Pour bien saisir la manipulation des taux d’intérêt dont je fais référence, il faut comprendre comment ils fonctionnent: lorsqu’une entreprise est jugée en moins bonne posture financière, les investisseurs seront moins enclins à lui prêter de l’argent (acheter ses titres de dettes). Du coup, les taux d’intérêt sur sa dette augmenteront, jusqu’à ce qu’ils deviennent suffisamment élevés pour compenser le risque et faire en sorte que les investisseurs s’y intéressent de nouveau. De ce fait, cette montée des taux est très dommageable pour une société qui est déjà en situation financière précaire.
C’est à ce moment que les banques centrales entrent en jeu. Elles se servent de la planche à billets pour agir en tant qu’acheteuses de dernier recours, i.e. lorsque tout le monde veut sortir son argent des entreprises boiteuses, c’est la FED qui achète la dette dont les autres veulent se départir. Elle va ainsi permettre aux entreprises concernées de survivre grâce au financement à bas taux.
Quel est le rapport avec les banques?
On pourrait percevoir les manoeuvres des banques centrales uniquement comme un support aux entreprises, mais l’objectif ne se limite pas qu’à ça. En permettant à un maximum de sociétés de survivre, la FED et la BDC supportent directement toute l’industrie bancaire, du coup, le système financier dans son ensemble. En effet, puisque tous les prêts accordés à ces entreprises composent une grande partie des actifs des banques, une quantité importante de faillites entrainerait des conséquences majeures.
Il en va de même pour l’aide financière fournie par le gouvernement aux particuliers via toutes sortes de programmes comme la Prestation Canadienne d’Urgence (PCU). Bien que plusieurs croient que ces derniers soient excessifs, ceux-ci sont nécessaires dans le sens où ils supportent l’industrie bancaire en évitant un tsunami de défauts de paiement et de faillites.
En limitant les dommages, les banques centrales maintiennent le système à flot… pour l’instant. Ainsi, sans cette aide, la quantité de faillites qui est déjà très élevée, serait gargantuesque. Le taux de chômage serait beaucoup plus élevé et inévitablement, les banques se mettraient toutes à tomber une après l’autre causant des ruées sur les liquidités partout dans le monde. Le gel des actifs et des places boursières suivraient et l’économie sombrerait dans une nouvelle grande dépression. Le lien de confiance qui permet actuellement à ce système basé sur le crédit de fonctionner serait brisé.
Un tel scénario semble relever de la science-fiction! Ça n’est pourtant pas loin de la réalité. Nous flirtons actuellement inconfortablement près d’un tel dénouement.
Pour appuyer mes propos, voici un fait intéressant. Durant ses 93 premières années d’existence (1914 à 2007), la Réserve Fédérale a créé environ 900 milliards de dollars. De janvier à mai 2020, elle a créé plus de 3 fois ce montant! Oui! En 5 mois, la FED a créé trois fois plus d’argent (2,8 billions) que durant ses 93 premières années d’existence!
L’ÉCONOMIE EST TELLE UN DROGUÉ ET LA PLANCHE À BILLETS EST L’HÉROÏNE DONT ELLE A BESOIN POUR CONTINUER À FONCTIONNER.
« Pourquoi les médias n’en parlent pas? »
Les médias et les grandes têtes parlantes se doivent d’afficher un portrait ensoleillé. Imaginez un peu si Jerome Powell, président de la FED, mentionnait en conférence de presse l’information dont vous venez de faire la lecture. Il provoquerait un vent de panique et causerait une crise d’amplitude beaucoup plus élevée avant qu’elle ne survienne d’elle-même. Malheureusement, la transparence et l’honnêteté ne font pas partie du travail. Ils se doivent de toujours paraître en contrôle et sûrs d’eux, pour ainsi rassurer les marchés et mettre les gens en confiance.
Conclusion
À la lumière de ces faits, il est faux de croire que les banques sont amplement capitalisées, la réalité est tout autre. Je crois avoir démontré que le support fourni par les banques centrales et les gouvernements est essentiel. Sans lui, la situation dans laquelle nous nous trouverions serait beaucoup moins rose. Il n’y a malheureusement pas de solution parfaite. La facture reviendra aux contribuables sous forme d’austérité ou de façon plus sournoise: par l’inflation. (un sujet qui sera abordé dans une future publication).
Nous sommes actuellement en train de vivre une expérimentation économique à une échelle sans précédent et les spécimens qui font l’objet de l’étude, c’est nous! Les taux d’intérêt négatifs sont maintenant au coeur de toutes les discussions économiques alors que ces derniers étaient impossibles il y a de ça quelques années.
Je suis conscient qu’être confronté à cette réalité pour la première fois peut paraitre effrayant. Toutefois, mon objectif avec cet article n’est pas de faire peur, mais plutôt conscientiser les gens sur le système dans lequel nous vivons. Tel que mentionne Robert Kiyosaki, auteur du best-seller Père Riche, Père Pauvre, il n’y a rien de mal à paniquer, l’important est de paniquer avant les autres. Si tel est le cas, cela laisse place à la préparation. En revanche, si vous paniquez en même temps que tout le monde, il sera trop tard.
Je trouve à la fois fascinant et inquiétant de constater que le coeur de ce système financier repose sur une seule chose: la confiance, une denrée disponible en quantité limitée et qui peut aisément s’effriter. Vous n’avez qu’à observer l’ascension fulgurante des crypto-monnaies aux cours des dernières années. Des millions de personnes à travers le monde qui cherchent des moyens de se « débancariser ». C’est le résultat d’une confiance en train de s’éroder. Pas étonnant lorsqu’on constate que les réserves bancaires sont infimes et que les banques centrales impriment la devise sans limite.
Si je fais confiance qu’une banane joue un rôle de réserve de valeur et qu’elle est un bon moyen d’échange, pour moi, une banane est donc de l’argent. Si une autre personne partage mon avis sur les bananes, alors cette dernière devient un moyen transactionnel entre nous. C’est ainsi que n’importe quoi peut devenir une devise, la confiance est la clé.
La question est:
EN QUOI FAITES-VOUS CONFIANCE?
« Money is gold and nothing else. »
- J.P. Morgan -
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