Le 2 mai dernier, avait lieu la très attendue réunion annuelle des actionnaires de Berkshire Hathaway tenue par son célèbre PDG Warren Buffett, également surnommé l’Oracle d’Omaha. Plusieurs investisseurs s’étonnent de constater que Berkshire détient une réserve impressionnante de 137 milliards de dollars en liquidités, soit l’équivalent d’environ 60% de son portfolio d’actions d’entreprises. Non seulement ils n’ont pas fait d’emplette au cours de la récente correction des marchés mais ils ont plutôt fait l’inverse, ils ont vendu pour quelques milliards d’actions d’entreprises. Regardons ce que l’histoire peut nous apprendre sur la vision des marchés de M. Buffett ainsi que son associé Charlie Munger et quelle leçon on peut en tirer.
Petite intégration des personnages
Charlie Munger 96 ans et Warren Buffett, qui fêtera ses 90 ans en août 2020 sont la preuve incarnée que l’âge n’a pas d’importance. Les deux milliardaires cumulent près de deux siècles de vie et entretiennent une relation d’affaires qui dure depuis plus de 60 ans. La société dont ils sont actionnaires fait partie des plus grandes fortunes du monde. Vous pouvez les voir discuter de leur relation en cliquant-ici.
Tel que mentionné d’entrée de jeu, Buffett et son organisation ont vendu pour environ 6 milliards de titres d’entreprises d’aviation, en plus de liquider 84% de leurs parts de la banque Goldman Sach au cour du premier trimestre 2020. Ceci conduit le compartiment de liquidités détenu par la société à 137 milliards de dollars. Une somme qui est principalement investie dans la dette d’État. Je constate sur les réseaux sociaux que tout le monde interprète à sa façon les actions de l’organisation de Buffett. Ceux qui ont une vision haussière des marchés trouvent toutes sortes de raisons rationnelles pour expliquer qu’il n’ait pas profité de la baisse des marchés comme ils ont fait. De l’autre côté, ceux qui ont une vision baissière des marchés, renforcent leur opinion en constatant que l’Oracle d’Omaha est resté sur le banc de touche, lui aussi.
Les faits
La dernière fois que Brekshire a détenu une part aussi importante de liquidité, c’est en 2007, juste avant la grande récession. En effet, c’est avec une part de trésorerie représentant l’équivalent de 58,9% de son portefeuille d’actions qu’il a pu faire des achats à rabais lors de l’effondrement des marchés en 2008 alors que tout le monde était fauché. Un heureux hasard ou une manoeuvre calculée?
L’indicateur préféré de Buffett est le ratio entre la capitalisation boursière par rapport au PIB. Celui-ci indique à quel point les entreprises se vendent cher par rapport à l’indicateur de production de richesse du pays (le PIB). Du coup, celui-ci donne une indication à savoir si les prix des entreprises sont cohérents par rapport à l’économie réelle ou s’ils sont surévalués. Selon des données de la Banque Mondiale, en l’an 2000, juste avant l’éclatement de la bulle des « dot-com », le ratio était de 146%. En 2007, avant la crise financière, le ratio atteignait 137% et en janvier 2020, il se situait à 154%. Vous pouvez l’observer sur l’image suivante.
Selon ce que nous révèlent ces chiffres, il est évident qu’aux yeux de Buffet, les marchés sont encore surévalués. Les prix des grosses capitalisations sont revenus près du sommet qui précédait l’arrivée du Coronavirus, cependant, le PIB est en dessous du niveau qui le précède. Sa réputation d’être toujours le seul à avoir du cash lorsque tout le monde est à sec n’est donc nullement due à la chance ou au hasard.
Ce que l’histoire nous révèle
Dans la lettre annuelle rédigée à l’intention des actionnaires, il y a de ça 3 ans, Buffett avait indiqué ceci:
« Charlie et moi n’avons pas de plan magique pour ajouter des revenus, à l’exception de voir grand et être prêt mentalement et financièrement pour agir rapidement lorsque des opportunités se présenteront. Environ toutes les décennies, des nuages sombres envahiront le ciel et il se mettra à pleuvoir de l’or pendant une brève période. Lorsque ce genre d’événement se produit, il est impératif que nous sortions à l’extérieur en transportant la baignoire avec nous, et non des cuillères à thé. C’est ce que nous ferons. »
J’en comprends que M. Buffett est conscient des cycles économiques et de leurs implications, il le mentionne expressément dans son discours. Rien d’étonnant lorsqu’on y pense, lui et son associé étaient tous deux vivants lors de la grande dépression. Ils ont également assisté à la réforme de l’économie de 1944 (les accords de Bretton Woods). Bien qu’ils se gardent d’en parler publiquement, ils sont conscients que nous sommes à la fin du cycle de longue durée.
J’explique en détail le fonctionnement de ces cycles dans LE CHOC DÉFLATIONNISTE.
Lorsque les bottines ne suivent pas les babines.
Évidemment, il a dû expliquer aux actionnaires pourquoi il conservait une part aussi importante de liquidité. En faisant bien attention de peser ses mots, il mentionne ne pas connaitre les conséquences futures des actions de la banque centrale (FED), il souhaite donc que la société soit prête à toute éventualité. Il fait également mention de considérer un scénario pessimiste.
Voilà ce qui laisse place à interprétation; après avoir tenu ces propos qui peuvent sembler alarmants, il continue avec un discours très optimiste quant à l’horizon des marchés. Tout comme en 2007, il encourage les gens à investir au moment où il fait tout le contraire. Whitney Tilson en fait la remarque à la fin de la réunion du 2 mai. « Il faut porter attention à ce que les gens font, pas à ce qu’ils disent. »
On n’apprend pas aux vieux singes à faire la grimace.
Un facteur important à considérer est la valeur réelle de l’argent, c’est-à-dire son pouvoir d’achat qui peut fluctuer dans le temps. Tel que mentionné ci-haut, Buffett ne connait pas les effets qu’auront les actions des banques centrales sur l’économie, non plus comment les consommateurs se comporteront. Si la vitesse de circulation des capitaux demeure faible, la déflation gagnera du terrain, du coup, le pouvoir d’achat du dollar augmentera. Alors, contrairement à ce qu’on peut croire intuitivement, le cash peut s’avérer être un très bon investissement en période déflationniste. En effet, puisqu’il y a moins de dollars qui entrent en compétition pour acheter les mêmes actifs, les prix diminuent donc l’épargne devient plus valable que les actifs financiers puisque le même dollar à un pouvoir d’achat accru.
Prenons une société cotée sur la bourse de New York ainsi que la bourse de Toronto pour illustrer la différence de pouvoir d’achat. La première qui me vient en tête est Franco Nevada Corp. En dollars US, une action vaut 139$ en date du 27 mai, tandis que sur la bourse de Toronto, cette dernière s’échange 191 en dollars Canadiens. Supposons que son prix reste le même mais qu’une déflation annuelle de 2% survient aux États-Unis, alors l’action s’échangera 136,22$ US dans un an au lieu de 139$. Cela peut sembler un meilleure prix, mais ce n’est pas le cas, c’est la valeur de votre épargne qui a augmentée. Ça se reflète donc sur des prix à la baisse.
Depuis le début de la crise du Covid, la valeur du dollar US a considérablement augmenté due à une forte demande pour en acquérir. Donc se fier uniquement aux prix des entreprises pour établir si oui ou non c’est une bonne opportunité, ne pose pas une analyse complète aux yeux de Buffett, puisqu’elle ne tient pas en compte le coût de renonciation aux dollars. Dit autrement, Buffett perçoit une transaction comme un échange d’actifs. C’est-à-dire qu’il échange ses titres d’aviation contre un autre actif qu’il croit plus rentable à détenir: DU CASH.
On pourrait donc croire qu’il a vendu ses actions d’aviation à perte mais en réalité, il a échangé un actif qu’il croit moins rentable à détenir contre un autre qui lui offre de meilleures perspectives de rendement.
Pour reprendre les propos de Whitney Tilson, « Lorsque vous avez des liquidités dans un monde qui devient fou, ces dernières deviennent beaucoup plus précieuses. »
En faisant référence aux propos de Buffett en 2017, étant donné qu’il n’a rien décaissé au cours des derniers mois, il semble qu’à ses yeux, la pluie d’or à laquelle il fait référence n’est pas survenue pour l'instant.
Pour voir l’intégralité des 4 heures de la réunion des actionnaires du 2 mai dernier, c’est ici.
Jean-François Gouin
Source:
https://www.berkshirehathaway.com/2007ar/2007ar.pdf
https://business.financialpost.com/investing/warren-buffett-cuts-crisis-era-bet-on-goldman