La semaine dernière, on posait la question dans une entrevue:
«Y aura-t-il une récession causée par la covid-19?» On devrait plutôt demander: Y aura-t-il une dépression à l’issue des événements actuels? Dans le texte qui suit, je décortique les rouages de l'économie moderne pour mettre en lumière l’état de la situation économique actuelle. Mon objectif est de susciter une réflexion sur les enjeux que nous vivons et qui affectent nos vies, nos portefeuilles, peu importe le secteur d'actif dans lequel vous investissez. Ce n'est pas une petite lecture, je dois l’admettre, mais je crois qu'elle en vaut la peine!
Tout d’abord, gardons en tête que la consommation est le moteur de l’économie. Chaque dollar que vous dépensez devient le revenu d’une autre personne et chaque dollar que vous recevez était la dépense de quelqu’un d’autre.
Lorsque le revenu d’une personne augmente, cela la rend plus solvable aux yeux des prêteurs. Elle peut donc emprunter davantage. L’argent emprunté lui permet ensuite de dépenser davantage. En augmentant sa consommation grâce au crédit, quelqu’un d’autre gagne plus d’argent, ce dernier peut à son tour emprunter davantage et augmenter sa consommation à la même échelle. Le cycle fait boule de neige et continue encore et encore.
À titre d’exemple, Richard, Daniel et Maxime vont représenter l’ensemble de la société et des entreprises:
Richard gagne 100 000$ par an. Cela lui permet d’emprunter 10 000$. Il peut donc dépenser 110 000$ durant l’année, même si son revenu n’est que de 100 000$. Comme les dépenses de Richard deviennent les revenus de quelqu’un d’autre, cela a permis à Daniel de générer 110 000$ de revenu. Sur le 110 000$ que Daniel a reçu, 10 000$ provient de la nouvelle dette de Richard, c’est donc de l’argent-dette. Basé sur le revenu de Daniel, celui-ci peut alors emprunter 11 000$. Ceci lui permet de dépenser 121 000$ qui deviennent les revenus de Maxime. Ce dernier peut à son tour emprunter 12 100$ pour dépenser 133 100$ et poursuivre le cycle encore.
En résumé, l’accroissement des revenus favorise l’augmentation de l’emprunt, ce qui a pour effet d’augmenter la consommation. La productivité est alors stimulée pour combler la demande accrue des biens et services consommés. La hausse de la productivité vient alors augmenter le revenu disponible et le cycle se répète et s’auto-alimente.
+ Revenu—> + Emprunt—> + Consommation—> + Productivité
Ça c’est la théorie, mais en réalité l’accroissement de la dette se fait plus rapidement que l’augmentation de la productivité. Pour la simple raison qu’il n’est pas nécessaire de travailler plus fort aujourd’hui pour augmenter nos standards de vie puisque le crédit nous permet de le faire au moment où il est émis. Cela fait du crédit le moteur principal de la consommation donc, de la croissance économique. En effet, au cours des 50 dernières années, chaque fois que la croissance du crédit de tous les secteurs combinés a été inférieure à 2%, nous sommes tombés en récession.
Pour mettre ça en perspective, aux États-Unis il y a plus de 70 billions (trillions en anglais) d’argent-dette (70 000 000 000 000$) et seulement 3 billions d’argent réelle. L’argent représente moins de 4% de la masse monétaire des États-Unis et tout le reste a été créé par le biais du crédit. On peut donc affirmer que l’argent-dette est devenu la part quasi entière de la masse monétaire. Chaque dollar que vous avez en votre possession est véritablement la dette de quelqu’un d’autre!
« Quoi!? Ça veut dire que les banques ne prêtent pas uniquement l’argent des déposants? »
Bingo!
L’argent qui est prêté est fabriqué de toute pièce par un mécanisme bancaire nommé système des réserves fractionnées. (Je ne veux pas écrire un roman ici alors je vais couper court là-dessus)
Ce tout nouveau crédit est injecté de façon exponentielle dans l’économie faisant alors augmenter la masse monétaire. Tous les ingrédients sont alors réunis pour obtenir de l’inflation. C’est ce qui survient si la croissance du crédit se fait plus rapidement que la création d’actifs et de biens de consommation. Dans un tel cas, il y aurait plus d’argent-dette disponible pour acheter un nombre restreint de biens de consommation. Ça se refléterait alors sur les prix qui se mettraient à augmenter.
Argent-dette / Crédit disponible
____________________________ = Prix
Tous les biens et actifs
Pour pousser la réflexion un peu plus loin: puisque l’ensemble de la masse monétaire est en fait de l’argent-dette: La plupart de ce que les gens croient être leur argent, leur richesse, n’en est pas! C’est du crédit! Si vous avez 50 000$ d’épargne c’est parce que quelqu’un d’autre (individu, entreprise, gouvernement) a emprunté cette somme. Nos épargnes et nos valeurs nettes dépendent uniquement de l’émission de crédit perpétuelle.
« Il est évident que le peuple de la nation ne comprend pas le système bancaire et monétaire.
Si c’était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin. » - Henry Ford -
Le crédit est donc créé comme par magie lorsque tout va bien et il disparaît de la même façon lorsque ça va mal. Pour l’illustrer, imaginez que Richard se rend à une boutique pour acheter une paire de chaussure. Il paie avec sa carte de crédit. Ce faisant, Richard fait la promesse au vendeur de payer plus tard. Ensemble, ils créent un actif de crédit pour le vendeur et un passif lié au crédit (dette) pour Richard. Le crédit vient d’être créé à partir de rien.
Maintenant qu’une pandémie de Covid-19 frappe le pays, supposons que Richard et des milliers d’autres personnes perdent leur emploi et ne sont plus en mesure de respecter leurs promesses de paiement. Dans ce cas, Richard et plusieurs autres personnes ne pourront pas payer leur fournisseur de crédit et à son tour, le fournisseur de crédit ne sera pas en mesure de payer le vendeur de chaussures. Alors son actif lié au crédit aura simplement disparu de la même façon qu’il est apparu.
Lorsque vous souscrivez à un prêt, vous le faites en empruntant à vos revenus futurs. Cela vous permet de consommer plus aujourd’hui que vos revenus vous le permettent. Cependant, l’inverse se produit lorsque le crédit doit être remboursé. Vous devez inévitablement réduire votre consommation en deçà de vos revenus pour pouvoir servir les paiements de la dette. La raison est simple: La productivité ne croît pas à la même cadence que la dette, puisque le crédit permet aux gens d’augmenter leur consommation dès maintenant sans devoir générer plus de richesse. Ce phénomène est aussi vrai pour un individu qu’il l’est pour une économie. C’est ainsi que se créent les cycles de croissance; L’expansion lorsque le crédit est consommé et la contraction lorsqu’il doit être remboursé.
Il y a cependant exception si le crédit est utilisé pour générer un plus gros revenu. Par exemple, un agriculteur achète une terre supplémentaire pour augmenter son volume de production de soya. Le revenu additionnel pourra couvrir le service de la dette tout en haussant sa qualité de vie. Dans la majorité des cas cependant, le crédit sert à l’achat de biens de consommation ou de passifs ne générant aucune richesse.
Ray Dalio, le milliardaire et cofondateur du plus gros fond spéculatif au monde l’explique dans son ouvrage «Principles for navigating big dept crises» : Lorsque le crédit est injecté, la croissance de la consommation devient plus forte, le taux de chômage diminue et les prix des actifs financiers augmentent. Cela crée un sentiment de richesse chez les investisseurs, ce qui incite à la spéculation et peut mener à la création de bulles financières conduisant à une surchauffe économique. C’est à ce moment que les banques centrales interviennent en augmentant le taux directeur. Le coût de la dette augmente donc moins de gens se qualifient pour de nouveaux prêts. Par conséquent, l’emprunt diminue et la consommation aussi. Puisque les dépenses d’une personne sont les revenus d’une autre, les revenus suivent la tendance. L’investissement ralentit et le prix des actifs diminue. C’est la récession. La banque centrale doit intervenir de nouveau pour stimuler l’emprunt en abaissant son taux directeur et un nouveau cycle commence.
Ces cycles (courts) sont d’une durée moyenne de 5 à 10 ans. Il faut noter que chaque cycle est plus élevé en termes de croissance et de dette que celui qui le précède. Ceci s’explique par le comportement humain: Nous avons tendance à toujours emprunter pour dépenser davantage plutôt que de rembourser. C’est pourquoi les cycles se suivent avec de plus en plus de croissance et de plus en plus de dettes.
L’accroissement de la dette a fait augmenter les revenus. Tant que ceux-ci suivent la cadence, tout va bien. Le service de la dette demeure soutenable.
Évidemment, cette croissance ne peut pas être éternelle! Tous ces petits cycles font partie intégrante des cycles de longues durées (en moyenne 75 à 100 ans).
Inévitablement, devant la dette grandissante, arrive le jour où les banques centrales n’ont plus la marge de manœuvre pour pouvoir hausser les taux de nouveau. Le poids de la dette étant trop important ceux-ci doivent rester à 0 tel qu’a été le cas dans les années 1930 et de nouveau en 2008. Après plusieurs décennies, le poids de la dette finit par s’accroître plus rapidement que la croissance des revenus. Les gens se voient donc forcés de réduire leur consommation pour rembourser la dette. Les revenus fondent et l’investissement diminue. Les actifs qui servaient de garantie collatérale perdent de la valeur rendant les gens moins solvables aux nouveaux emprunts. Le cercle vicieux de la déflation continue. La différence cette fois-ci c’est que les taux sont déjà à zéro. C’est la fin du cycle long terme. Bienvenue en dépression!
Contrairement à ce qu’évoquent les économistes d’avant plan, John Maynard Keynes donne une excellente définition d’une dépression dans son ouvrage intitulé « La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » (1936). Il affirme qu’une dépression signifie de rester durant un certain temps dans un état d’activité inférieur à la normale sans qu’il y ait une tendance marquée vers la reprise ou l’effondrement complet.
Malgré que peu de gens en soient conscients, ces cycles sont bien réels. Ils sont RÉPÉTITIFS et PRÉVISIBLES!
Voici quelques-uns des fondamentaux qui en témoignent:
1. L’économie Canadienne est étroitement liée à celle des États-Unis. C’est pourquoi je surveille le ratio entre la valeur nette des ménages américains par rapport à leur revenu disponible. En moyenne, depuis 1952 le ratio a été de 547% donc quelqu’un ayant un revenu disponible de 50 000$ a une valeur nette moyenne de 273 500$. En 2000, juste avant l’éclatement de la bulle des « .com » le ratio était grimpé à 617%. En 2007, avant l’éclatement de la bulle immobilière, le ratio était de 676% pour ensuite chuter à 556%. Dans le 4e quart de 2019 le ratio atteignait un sommet de 712% tel que vous pouvez l’observer sur l’image qui suit. Lorsqu’il y a distorsion entre le revenu des ménages et leur richesse nette (passif déduit), cela indique que la valeur des actifs financiers est gonflée grâce au crédit et la spéculation. Ceci les rendant vulnérables à une correction. Ce ratio est disponible sur federalreserve.gov dans l’onglet « Financial accounts of the United States »
2. Un autre facteur est le délai dans le temps depuis le dernier cycle. Plus de 10 ans pour le cycle court (2008) et 90 ans pour le cycle longue durée (1930). Nous sommes exactement dans la fenêtre de temps.
3. L’accumulation de dettes a des sommets historiques autant pour les ménages, les sociétés et les gouvernements. Pas surprenant lorsque les médias à sensation nous informent que les ménages Québécois atteignent un seuil d’endettement historiquement élevé. C’est normal lorsqu’on sait où on se situe dans le cycle.
4. Les taux qui ont frappé 0% en 2008 et y sont restés. C’est un indice de la fin du cycle de longue durée et ce, malgré une tentative ratée de les rehausser en 2017 pour mettre fin à 36 ans de baisse de taux d’intérêt. La banque centrale (FED) a dû rebrousser chemin en 2019 face à la baisse de la valeur nette des ménages, confirmant que nous sommes devenus esclaves des taux plancher
5. S’ajoute à ça l’inversement de la courbe des taux en 2019. - La crise sur le marché « REPO » du 16 septembre 2019 qui a passé sous le radar du commun des mortels et j’en passe… Tout ça démontrait une instabilité des marchés et la fin du cycle. Je vous invite à faire vos propres recherches pour en connaitre davantage sur ces sujets.
Maintenant revenons à notre scénario pandémique de Covid-19. Des millions de personnes et entreprises dans le monde voient leur source de revenu réduite. Plusieurs d’entre elles ne seront pas en mesure de respecter leurs promesses de paiement et de nombreuses autres réduiront considérablement leur consommation face à l’incertitude.
Tout comme a vécu le vendeur de chaussures:
Les promesses faites par les restaurateurs, les commerçants, les entreprises, les propriétaires immobiliers à leur banquier ne pourront pas toutes être respectées. Leurs prêts, hypothèques et marge de crédit qui étaient des actifs pour les institutions prêteuses s’évaporent. C’est ce qui survient lors de faillites, restructuration de dette (proposition du consommateur), le crédit disparaît, l’argent disparaît. Les actifs des banques ne sont en réalité qu’un tas de promesses adossées à des collatéraux dont la valeur chute comme une pierre.
La boucle (revenu -> emprunt -> consommation -> productivité) vient de s’arrêter et s’auto-alimente maintenant à l’inverse. Revenu réduit, emprunt réduit, consommation réduite, productivité réduite…
Comme mentionné plus haut, la quasi-totalité de la masse monétaire est composée d’argent-dette. Un taux d’intérêt doit donc être payé sur celle-ci. Des marges à 5%, 10%, des cartes de crédit à 20% des hypothèques à 2,3,4,5%.
Pour l’exercice, disons que le taux d’intérêt moyen est de 3%. 70 billions à 3% d’intérêt annuel signifient que 81 billions de la masse monétaire des États-Unis seraient nécessaires pour repayer toutes les dettes sur une période de 10 ans. La quantité d’argent du pays en entier serait insuffisante puisqu’un intérêt doit être ajouté au capital par rapport au crédit initialement emprunté.
Évidemment, ce scénario est exagéré et irréaliste mais l’exercice est intéressant pour illustrer l’effet d’une décroissance comme on connait en récession et en dépression. Les gens empruntent moins, des faillites surviennent et d’autres individus paient leur dette en réduisant leur consommation alors la masse monétaire se contracte. L’argent disparaît littéralement!
Un autre phénomène contribue à l’assèchement de la masse monétaire: Les prêteurs non-bancaires (prêteurs privés). Contrairement aux banques standards, ceux-ci utilisent de l’argent-dette faisant déjà partie de la masse monétaire, donc sur lequel un intérêt est payé préalablement par quelqu’un d’autre. Cet argent-dette est alors prêté de nouveau à des taux pouvant être de l’ordre de 10 à 20% parfois plus. De ce fait, il y a de l’intérêt payé en double sur le même dollar. - Si tous les intérêts prélevés par les prêteurs bancaires et non-bancaires étaient réinjectés dans l’économie sous forme de dépenses, nous n’observerions pas ce phénomène.
Bien entendu, les banques centrales font toutes sortes d’acrobaties pour inonder les marchés de liquidités et maintenir les prix des actifs gonflés à bloc avec de l’argent créé de nulle part. En même temps, les gouvernements larguent de l’argent directement dans les poches des contribuables à la manière «helicopter money» en couvrant leur déficit avec la planche à billets de la banque centrale. Des outils de stimulus économiques qui seraient trop long à décrire ici.
(J’utilise ici le terme « planche à billets » au sens figuré. Tout se fait de façon numérique.)
Ceci m’amène à la question ultime qui alimente bien des discussions:
« Y AURA-T-IL DE L’INFLATION CAUSÉE PAR TOUTE CETTE IMPRESSION MONÉTAIRE? »
Comme vous l’avez constaté, les forces déflationnistes actuelles sont très fortes. La croissance de la dette a soumis les actifs financiers à un effet de levier rehaussant leur prix à des sommets sans précédent. À un point où les stimuli économiques traditionnels perdent leur efficacité. Le monde doit, et devra se désendetter pour pouvoir croître de nouveau. Le «deleverage» peut se faire de façon très brutale et souffrante, comme il peut se faire en douceur sans trop de maux de tête.
Personne ne peut affirmer quoi que ce soit dans un sens ou dans l’autre à l’heure actuelle puisque des forces inflationnistes et déflationnistes sont toutes deux à l’oeuvre présentement. La conjoncture de certains éléments ainsi que la compétence et le leadership de nos acteurs politiques seront déterminants.
Du côté de la déflation: Le choc de la demande que nous vivons actuellement causé par l’arrêt brutal des dépenses et de l’investissement vient réduire immédiatement la valeur des actifs. Ensuite, l’élimination graduelle du crédit sous forme de faillite, restructuration ou remboursement réduit la masse monétaire. Il y a donc moins d’argent pour acheter le même nombre de biens et d’actifs, ce qui force les prix à se comprimer. De plus, la démographie joue un rôle important dans la conjoncture des événements. En effet, le retrait des boomers du marché du travail et le vieillissement de la population ajoutent une pression supplémentaire aux forces déflationnistes actuelles; À la retraite, les gens s’endettent moins et consomment moins. Je pourrais consacrer plusieurs pages exclusivement à la démographie mais ce n’est pas à l’ordre du jour.
Côté inflation: Les gouvernements et les banques centrales ont tous les outils en leur possession pour générer de l’inflation venant réduire les effets de la déflation naturelle. Ceux-ci doivent cependant être utilisés avec précaution. En effet, les gouvernements et les banques centrales doivent travailler de pair pour mettre en place une politique monétaire et fiscale inflationniste sans toutefois exagérer.
Jusqu’à maintenant, les banques centrales ont conduit leur politique monétaire de façon indépendante. Il en va de même pour les gouvernements avec la politique fiscale. Cette fois cependant les choses sont différentes:
Depuis 2008 la Réserve Fédérale américaine (Fed) a conduit 4 rondes d’assouplissements quantitatifs (QE), la dernière ayant débuté en 2019. Celles-ci consistent à l’achat de titres de dettes comme des bons du trésor ou des titres adossés à des actifs payés avec la planche à billets. Des opérations qui sont qualifiées d’impression monétaire puisqu’elles injectent de l’argent dans les marchés financiers. Ceux-ci n’ont toutefois pas été sans conséquence: La baisse des taux d’intérêt versés par l’état sur sa dette a eu pour effet d’inciter les investisseurs à la recherche de rendement à se tourner vers des classes d’actifs jugées plus à risque (actions, immobilier, etc.). Cela a eu pour effet de conduire ces actifs en territoire de bulles, tel qu’en témoigne le ratio valeur nette/revenu décrit précédemment. Pour ce faire, la Fed a dû multiplier son bilan par 5 en créant près de 4 billions de dollars US.
Cet outil monétaire qualifié de «hors norme» fait désormais partie du paysage économique. Cependant, ce dernier perd de son efficacité avec le temps. En effet, les banques centrales ont le pouvoir d’imprimer de l’argent mais elles peuvent uniquement acheter des actifs financiers. De ce fait, ce sont seulement les détenteurs d’actifs qui en bénéficient. Ces pratiques (QE) ont donc pour effet d’accentuer les écarts de richesse entre les riches et les pauvres. Cependant, mettre de l’argent entre les mains des mieux nantis n’a pas un effet aussi stimulant que la donner aux moins nantis. Puisque ces derniers sont plus enclin à dépenser, 1000$ en leur possession est davantage stimulant pour l’économie que de remettre le même montant aux épargnants.
Ce phénomène s’explique par la vitesse de circulation des capitaux. Suite à la transaction entre Richard et le vendeur de souliers, supposons que ce dernier est allé prendre une bière avec les profits générés par la vente. Avec le pourboire que le vendeur et quelques clients lui ont donné, le barman arrêtera faire le plein d’essence de sa voiture. Dans cet exemple, l’argent de Richard aurait une circulation de 3.
De l’impression monétaire sans vélocité ça ne provoque aucune croissance économique et aucune inflation. C’est pourquoi les manœuvres de la Fed n’ont résulté qu’à une très faible inflation malgré le torrent de capital injecté.
C’est là où demeure une incertitude. La vélocité de la monnaie relève beaucoup plus du comportement humain que d’une politique monétaire. Les gens ont beau recevoir des milliers de dollars du gouvernement, si tout le monde est terrorisé face à la conjoncture économique, personne ne va dépenser. La déflation gagnera du terrain et des tensions sociales en résulteront.
Tout cela explique pourquoi les assouplissements quantitatifs sont éphémères. Donc, pour tenter d’obtenir plus de vélocité, les acteurs politiques doivent trouver une façon d’injecter de l’argent dans les poches de tout le monde, incluant les moins nantis.
C’est ici que le rôle du gouvernement devient essentiel. Contrairement à la banque centrale celui-ci peut injecter des liquidités directement dans les poches des gens grâce à des programmes tels que le revenu minimum garanti, des assouplissements fiscaux et bien d’autres. Il ne peut cependant pas créer d’argent. La collaboration des deux entités devient alors essentielle. C’est ce que Ray Dalio nomme «Monetary Policy 3 (MP3)». La banque centrale finance le déficit du gouvernement avec la planche à billets. De cette façon la dette est financée à bas taux avec un apport en capital potentiellement infini.
Pour effectuer de telles manœuvres et contrebalancer les forces déflationnistes, les acteurs politiques doivent dépenser massivement de l’argent nouvellement créé à mesure que le crédit se contracte.
Pour illustrer son fonctionnement, prenons en exemple la dette moyenne des ménages Canadiens. Selon Statistique Canada, au 4e trimestre de 2019 le ratio dette/revenu était de 176%, soit 1.76$ de dette pour chaque dollar de revenu. En supposant un taux d’intérêt moyen de 3%, l’augmentation de la masse monétaire devrait se faire à un rythme supérieur à la dette. Une croissance de 4% annuel serait adéquate dans cet exemple. Au bout de 6 ans, le ratio dette/revenu serait réduit à 168% tout en maintenant une inflation faible.
L’objectif n’est pas d’augmenter la masse monétaire mais bien de remplacer le crédit au même rythme auquel il disparaît tout en ajoutant un grain de sel supplémentaire pour permettre une inflation légère et une faible croissance. Naturellement, l’exemple cité ci-dessus ne tient pas compte des défauts de paiement et des faillites. Ceux-ci feraient disparaître beaucoup plus d’argent-dette dès la première année, ce qui ferait chuter le ratio dette/revenu beaucoup plus rapidement. Dans un tel cas, le gouvernement devrait dépenser un montant proportionnel sous divers programmes pour maintenir la masse monétaire tout en laissant le désendettement se réaliser.
C’est une situation très délicate, car il est très facile d’imprimer à outrance beaucoup plus rapidement que le crédit se contracte. C’est exactement ce qui s’est produit dans la république de Weimar en Allemagne dans les années 1920. Dans une telle situation, vous seriez heureux de posséder des actifs tangibles vous protégeant de la dépréciation de la devise. De la même façon, si les gouvernements et les banques centrales mettent trop de temps à réagir ou n’impriment pas suffisamment, la déflation l’emportera telle que l’a vécue l’Amérique dans les années 1930. Dans cette situation, il est mieux d’avoir du cash, des bons du trésor ainsi qu’une exposition réduite à la dette puisque la déflation amplifie la valeur réelle de celle-ci. Un taux d’intérêt de 3% combiné à une déflation de 3%, signifie un taux d’intérêt réel de 6%. Parallèlement, les actifs perdent de la valeur face à un dollar plus fort et une masse monétaire réduite.
Dernièrement, le gouvernement Trump a annoncé un plan de sauvetage de 4 billions de dollars. Cependant, le Congrès où siègent principalement les Démocrates, a bloqué le projet et une entente pour 2,2 billions a été conclue. Il est évident que 2,2 billions seront insuffisants pour contrebalancer la contraction du crédit à laquelle on fait face. De son côté la Réserve Fédérale a mis la pédale au plancher pour acheter toutes sortes de titres adossés à des créances. Comme mentionné plus haut, la Fed peut soulager les marchés assoiffés de liquidités avec la planche à billets mais sans la participation du gouvernement dans l’injection de capital, ceci ne réglera pas le réel problème: L’absence de consommateurs et de circulation des capitaux.
Du côté du Canada, les annonces de stimulus sous forme de différents programmes continuent à se faire. Difficile pour le moment d’évaluer l’ampleur de ceux-ci par rapport au rythme du «deleverage». J’ose espérer qu’ils s’ajusteront en cours de route.
« Ok mais toute cette impression monétaire va faire exploser la dette de l’état! »
Regardons la situation plus en détail:
Aux États-Unis, dans le dernier quart de 2019, la dette nationale brute était de 22 668 milliards. Cela représente 107% du PIB. WOW! Les médias adorent mettre ça de l’avant pour faire sensation. Voici le portrait réel tiré du « Congressionnal Budget Office » (CBO.gov):
Sur la dette brute, 5 865 milliards sont détenus de façon intergouvernementale. Dit autrement, 25.8% de la dette est détenue par d’autres divisions gouvernementales comme le fond fiduciaire de sécurité sociale. De ce montant, l’entièreté des revenus générés par la dette revient dans les coffres du gouvernement. Il reste donc 16 803 milliards desquels il faut soustraire les actifs financiers du gouvernement, ce qui laisse 14 961 milliards de dette nette, détenue par le public. Le rapport réel avec le PIB est donc de 70.5%.
De plus, les 14 961 milliards détenus par le public se divise de la façon suivante: environ 6% sont détenus par les États, 15% par la Fed, 40% sont détenus par des investisseurs Américains et seulement 39% par des investisseurs étrangers comme la Chine et le Japon. La plus grande part de la dette publique est détenue par les citoyens et institutions Américaines. C’est comme se payer des intérêts à eux-mêmes puisque les revenus de la dette vont rester dans l’économie du pays. Seulement 25,7% de la dette brute totale est détenue par des investisseurs étrangers.
J’en viens donc à la portion détenue par la banque centrale (15%). Il faut comprendre que la Réserve Fédérale est composée de 12 institutions à travers le pays, desquelles toutes les banques à charte sont actionnaires. De ces actions, la Fed verse un dividende fixe de 6% à toutes les institutions membres et conserve un surplus dans ses comptes. Tout le reste de ses profits sont versés au département du trésor américain. Pour donner quelques chiffres: en 2015 la Fed a généré 100,2 milliards de profit après dividendes et a remis 97,7 milliards au trésor et en 2017 la banque centrale a remis 80 milliards au gouvernement et seulement 13,8 milliards en dividendes aux banques actionnaires.
Au Canada, la banque centrale est détenue à 100% par le gouvernement. La totalité de ses revenus reviennent donc aux contribuables. Du côté des chiffres, en décembre 2019, la dette brute Canadienne s’élevait à 1 198 milliards, représentant 60% du PIB. En soustrayant les actifs de 412 milliards, la dette nette s’élevait à 785 milliards, soit 39% du PIB. De ce montant, 105 milliards figurent sur le bilan de la Banque du Canada. Par conséquent, les intérêts seront retournés au trésor.
En mars, la Banque du Canada a annoncé son intention de débuter un programme d’assouplissement quantitatif en achetant de la dette fédérale à un rythme de 5 milliards par semaine et ce, jusqu’à ce que l’économie s’en porte mieux. Si cette dette est dépensée judicieusement par le gouvernement, il se pourrait que nous ne ressentions pas les effets de la contraction du crédit. Est-ce que les montants seront suffisants? Se feront-ils au rythme où la déflation ne sera pas ressentie? Nous verrons bientôt…
Comme vous le constatez, les dépenses du gouvernement financées avec la planche à billets ne font pas augmenter la dette de façon aussi importante que le veut la croyance populaire véhiculée par les médias. Ils ne mentent pas, mais ne reflètent pas les choses exactement comme elles sont. Ce serait beaucoup moins sensationnel. Le ratio dette/PIB réel demeure faible aux États-Unis et encore plus faible au Canada comparé par exemple au Japon qui atteint 234% au moment où j’écris ces lignes. De cette dette une large portion revient directement ou indirectement dans les poches des contribuables. L’inflation quant à elle, n’est pas le résultat systématique de l’impression monétaire. Il faut tenir compte de la vitesse de contraction du crédit, cela déterminera si nous connaîtrons une belle dépression, avec des forces inflationnistes et déflationnistes équilibrées ou une dépression chaotique qui penche d’un côté ou de l’autre.
Il est certain que la dette nationale augmentera malgré tout. Le gouvernement canadien va également emprunter auprès du secteur bancaire privé pour soutenir leur industrie et éviter de faire surchauffer la planche à billets. Cette dette et ses intérêts devront être repayés par les contribuables à moins que l’inflation joue un rôle clé dans l’allègement du fardeau de la dette (ce qu’ils tenteront désespérément de faire). Je développerai sur ce sujet dans un autre billet.
Un dernier facteur qui pourrait avoir un impact considérable sur l’inflation est la tendance vers la rupture de la mondialisation. La crise sanitaire apporte un vent de protection envers les économies locales. Une tendance qui était déjà présente avant la crise. Pensez par exemple à la guerre commerciale ainsi que toutes les mesures prises ayant pour but la réduction du déficit commercial.
La mondialisation a ouvert les portes du monde au commerce permettant entre autres de produire des biens de consommation avec une main d’oeuvre beaucoup moins coûteuse. Imaginez si les iPhones étaient fabriqués par une main d’oeuvre payé 30$/Hr en Amérique au lieu de 5$/heure en Chine. Fort a parier qu’ils se vendraient beaucoup plus cher!
La mondialisation a un effet déflationniste sur les biens de consommation dû aux pressions baissières sur les salaires. Il est plutôt improbable que celle-ci se renverse complètement. Cependant, les possibilités qu’un tel scénario survienne vont en augmentant. Si la « régionalisation » prend davantage d’ampleur, des emplois seront rapatriés localement mais il faudra s’attendre à subir une inflation des prix.
Pour conclure, les médias traditionnels et les grandes têtes parlantes de la télévision vont jeter le blâme de la crise financière sur le covid-19 comme s’il en était l’unique cause. Quelle belle opportunité de pouvoir blâmer un organisme invisible d’un problème qui appartient plutôt à un système ayant de sérieuses ratées. Selon les faits mis en lumière dans ce texte, le portrait semble bien différent.
« Ne laissez jamais une bonne crise être gaspillée » - Winston Churchill -
Trop de gens mettent leur attention sur l’avant-scène véhiculée dans les médias sans observer ce qui se passe dans les coulisses. La pièce était déjà pleine de gaz, le coronavirus n’est que l’étincelle qui a tout déclenché.
« Ah mais ma banque m’a dit que ça finit toujours par remonter. »
Peut-être lorsqu’on tient compte uniquement des cycles de courtes durées mais il n’y a personne autour de la table qui avait des investissements dans les années 1930. Chose certaine, ceux qui ont investi en bourse en 1929 ont dû patienter 29 années simplement pour récupérer leur capital (inflation corrigée) et ce, à une époque où les gens étaient beaucoup moins exposés à l’effet de levier.
Je crois vous avoir donné matière à discussion avec votre gestionnaire de portefeuille. Posez davantage de questions, après tout, c’est de votre vie dont il s’agit. «C’est impossible de timer le marché» vous répondra-t-il.
Parlez-leur des faits mentionnés plus haut. Certes, personne n’est à l’abri d’un 11/09 ou d’un événement surprise, cependant, les fondamentaux nous parlent et ils peuvent nous permettre d’éviter de subir de lourdes pertes ou mieux, de générer de gros profits si on prend le temps de les écouter.
Il est grand temps que nous nous responsabilisions collectivement face à notre éducation financière. Le système d’éducation traditionnel a décidé qu’il n’était pas important d’apprendre les rudiments de l’investissement à l’école. La légitimité de cette décision est discutable mais après tout, nous sommes tous responsables des choix que nous faisons par la suite; ignorance ou connaissance?
J’espère avoir rendu de façon compréhensible ce sujet parfois déroutant. Pour faire votre propre étude face aux données mentionnées ci-haut, j’ai laissé toutes les sources à la fin. Si vous avez lu jusqu’ici, il est clair que vous avez une ouverture à apprendre sur le sujet, vous êtes peut-être même déjà très éduqué au niveau financier. Si vous avez aimé le contenu de cet article, je vous invite à le partager pour permettre à d’autres personnes d’en bénéficier. Pour recevoir directement les nouvelles publications, abonnez-vous en cliquant ici et suivez la page Facebook du même nom.
- Parce que l’argent affecte toutes les sphères de nos vies. -
P.S. Vous venez de lire le premier article qui a inspiré la création du blog S’éduquer pour Investir. Merci de votre soutien et merci de contribuer à son succès!
Jean-François Gouin
Sources: